Le Yi King constitue un texte fondateur de la civilisation chinoise. Aussi connu sous le nom de «Livre des Transformations», cet ouvrage a constitué une base essentielle au développement de la pensée chinoise, du taoïsme au confucianisme, en lui apportant des concepts, du vocabulaire, ainsi qu’une dimension philosophique et ésotérique. Nous allons dans cet article découvrir les origines de ce livre majeur de la culture chinoise, sa signification ainsi que son utilisation.
Le Yi King de quoi s’agit-il ?
Le Yi King est souvent présenté à tort comme un texte chinois consacré à des pratiques divinatoires occultes. Or le Yi King a une visée pratique, qui est de délivrer un diagnostic du présent afin que chacun puisse définir l’action la plus juste à la situation donnée.
Pour cela, le Yi King est constitué d’un texte comprenant 64 chapitres, détaillant des situations courantes de la vie et la façon d’agir la plus juste en fonction de sa structure énergétique. Ceci est résumé selon une analyse mobilisant la notion de Yin-Yang, structurée en un schéma linéaire portant le nom d’hexagramme. Les schémas d’interprétation, ne nécessitant aucune connaissance particulière en chinois, ont fait du Yi King un livre de divination universel. Tout hexagramme décrit finement les types de situation ainsi que leurs dynamiques afin de permettre aux individus de s’adapter et agir ainsi avec justesse.
Histoire du Yi King
En Chine antique, les empereurs de la Dynastie Shang, sollicitaient leurs ancêtres afin de prendre les décisions importantes pour le pays. Les offrandes aux ancêtres les plus courantes étaient des morceaux de viande avec leur os. Les offrandes étaient déposées dans un espace sacrificiel afin d’être brûlées, le feu jouant un rôle d’intercesseur entre le monde des hommes et le monde des esprits. Les os soumis à une forte chaleur se craquelaient, ce que les chinois de l’Antiquité interprétaient comme une réponse des esprits à la question posée au préalable. Au fil du temps, les chinois réalisèrent que les chances de succès de toute entreprise étaient en réalité le fruit d’une bonne adéquation entre l’action entreprise et la situation plutôt que la réponse des ancêtres.
Les offrandes de viandes ont été abandonnées avec le temps pour laisser la place aux carapaces de tortue. Les chinois ont adoptés les carapaces de tortue comme outil de divination pour leur forme singulière faisant penser à l’univers. Puis les brasiers ont été remplacés par des tisons qui étaient appliqués sur des points précis de la carapace de façon à produire des craquelures. Les carapaces étaient ensuite conservées et archivées afin de pouvoir affiner les diagnostiques. Les devins-scribes apportaient des inscriptions aux carapaces afin de résumer le diagnostic. Ces inscriptions, retrouvées dans le Yi King sont à l’origine des caractères chinois.
La création du Yi King.
A l’époque de la Dynastie Zhou en Chine ancienne (1046 – 256 av J-C), la divination se fait de plus en plus par la consultation des archives de carapace de tortue. L’usage du feu pour faire naître les craquelures à l’intérieur de la carapace est moins courant.
Les lettrés s’aperçoivent des multiples similitudes des signes provoqués par les fissures sur les carapaces. Dans une volonté de simplifier le processus du rituel de divination, les lettrés décident de regrouper les caractères par similitude et de les retranscrire sur des lattes en bambou. Ce support constitue une forme de «livre» qui sera à l’origine de la création du Yi-King.
Les lettrés de l’époque simplifient les textes afin de les résumer en situations types. C’est au environ du 3ème siècle avant notre ère que les trigrammes sont inventés à la suite de multiples simplifications.
Sous la dynastie Zhou, le Yi-King passe du statut d’ouvrage de divination à un manuel d’aide à la prise de décision.
Puis, sous la Dynastie Han, le Yi King prend la forme que nous connaissons aujourd’hui : un texte composé de 64 chapitres accompagnés de commentaires structurés en 10 sections.
Selon la légende, quatre héros civilisateurs de la mythologie chinoise seraient à l’origine du Yi King. Le premier est Fu Xi, grand créateur ayant posé les fondations de la civilisation chinoise : l’écriture, les rites, la cuisine, et le Yi King. Ensuite, Wen Weng (110 av J-C), Zhou Gong puis Confucius suivent les pas de Fu Xi dans l’élaboration de la culture chinoise.
Sous la Dynastie Han, le Yi King est un ouvrage de référence, constituant un socle fondamentale de la pensée chinoise.
A partir du XX ième siècle, le Yi King connaît une grande diffusion dans les pays occidentaux, où les cultures extrême-orientales connaissent une vague de popularité. Le Yi King suscite alors un nouvel intérêt après avoir été longtemps délaissé.
Le Yi-King, à l’origine de la pensée chinoise
Une pensée fondée sur l’observation de la nature
Les chinois ont construit leur pensée non pas, par la contemplation de la voûte terrestre mais par l’observation du cycle naturel des saisons, responsable de la fécondité de la terre qu’ils cultivaient. L’observation du ciel par les agriculteurs chinois a créé cette idée naturelle du changement, liée au mouvement des nuages, responsable de la pluie et du beau temps.
La notion de Yin-Yang
Le Ying et le Yang sont deux éléments essentiels de la pensée chinoise issus du Yi King. Yin et Yang fonctionnent dans un mouvement perpétuel sans fin ni commencement. La question de l’origine, propre au monde indo-européen ne se pose pas chez les chinois.
Le Yin est le Yang sont dans la pensée chinoise les deux faces d’une même pièce de monnaie. Cette notion d’indissolubilité se retrouve dans la graphie des caractères (阴阳)contenant la partie de gauche en commun.
Yin est composé du caractère de la lune, et Yang est composé du caractère du soleil. Le Yin se caractérise par la passivité, une énergie de repli, se transformant dans une énergie d’expansion Yang, énergie de déploiement.
Le Yin-Yang doit être compris comme une notion dynamique en mouvement perpétuel.
La peinture traditionnelle chinoise
Cette pensée du changement s’illustre notamment dans la peinture traditionnelle chinoise. Le peintre chinois ne peint pas des représentations statiques de la nature mais plutôt ses changements d’états. Il vise à saisir les transitions essentielles du monde.
Afin de se représenter l’esprit chinois, il faut alors passer de l’idée d’un monde statique à l’idée d’un monde en changement perpétuel.
A la racine étymologique du «Classique des changements»
L’idéogramme 易 (yi) est constitué du caractère du soleil en haut, et en bas du caractère symbolisant la pluie en train de tomber. L’agrégation de ces deux caractères fait naître l’idée de changement, la variation du temps, le passage d’un état météorologique à un autre.
La seconde signification du caractère 易 (yi) est l’idée de simplicité, de facilité.
La troisième signification est l’idée paradoxale de fixité. Un commentaire du Yi King résume cette idée en une phrase:
«La seule chose qui ne changera jamais est que tout change toujours tout le temps»
Yi Jing, hexagramme 32 «Commentaire sur le Jugement
La meilleur base afin d’établir une stratégie efficace est l’idée du changement perpétuel. C’est là tout l’objet du Yi Jing : établir une aide à la prise de décision dans un monde en changement perpétuel.
Le caractère 经 Jing signifie «classique». Il fait référence à l’importance de la dimension sociale et intellectuelle de l’ouvrage. Le Yi Jing faisait parti des ouvrages de référence à connaitre par coeur par tous les candidats aux examens impériaux. L’ouvrage tenait une place essentielle dans la vie de l’Empire Chinois.
Au delà d’être un art divinatoire, le Yi King est un livre d’une grande sagesse, permettant d’engager un processus de connaissance de soi.
Yi King et connaissance de soi
Le Yi King dans la psychanalyse
Le psychanalyste et auteur Carl August Jung s’est beaucoup intéressé au Yi King dans une période de sa vie où ses recherches portaient sur l’alchimie et l’astrologie. Sa rencontre avec le sinologue allemand Richard Wilhelm, auteur de la traduction qui fera connaître le Yi King à l’Occident, joue un rôle important dans la suite de ses travaux. Il invente la notion de synchronicité, ouvrant des nouvelles perspectives dans la connaissance de soi. Afin d’explorer cette nouvelle notion, il crée des groupes de pratique axés sur l’astrologie et le tarot de Marseille.
La consultation du Yi King est une façon d’interroger l’inconscient, permettant à la personne qui consulte l’oracle d’engager un processus de prise de conscience.
Comment interroger le Yi king?
Il existe plusieurs manières pour interroger le Yi King. L’une des méthodes consiste à jeter 3 pièces de monnaie en même temps, en répétant cette opération 6 fois. Chaque résultat correspond à un trait donnant ainsi naissance à un héxagramme. Les commentaires associés à chaque héxagramme permettent de donner des interprétations à la réponse de l’oracle. Une autre méthode consiste à utiliser des baguettes ou tiges.
Ces tirages du Yi King obtiennent une certaine popularité dans les milieux de la magie et de la voyance. Ils sont aussi employés par les maîtres Feng Shui afin de connaître les meilleurs agencements possibles de l’habitat avec les lois du cosmos.
Le Yi King, à la base du Feng Shui
Le Feng Shui traditionnel, aussi connu sous le nom de géomancie chinoise, se définit comme l’art d’agencer les énergies d’un lieu de façon à être en harmonie avec la nature et les astres. Cette art traditionnel chinois vise à réaliser l’harmonie entre l’homme et son environnement afin de lui apporter le bonheur et la chance. Il s’appuie sur des notions d’astrologie chinoise, de cosmologie et de philosophie chinoise.
Les maîtres Feng Shui consultent l’oracle du Yi King afin d’établir le diagnostic énergétique d’un lieu. Ils peuvent en pratique réaliser des tirages astrologiques avec des cartes ou s’aider d’une boussole afin d’évaluer les énergies de l’habitat.
Yi King et numérologie.
Le texte canonique du Yi-King et composé de 4084 caractères et 64 chapitres. Les chercheurs estiment que l’écart entre le produit de 64X64 et la somme des caractères a été prévu par les lettrés ayant compilés les textes du Yi King au fil du temps. Ils ont fait en sorte que le texte canonique du Yi-King ne soit pas ajusté arithmétiquement. L’une des raisons est de vouloir signifier l’origine humaine de l’ouvrage. Car si la somme des caractères de l’ouvrage avait compté exactement 64X64, cela aurait pu laisser imaginer l’intervention d’une divinité.
L’organisation numérique du Yi Jing, associée à la taille égale de chaque caractère, est une illustration du goût des chinois pour les système fractals. En effet la répartition de l’ouvrage en 64 chapitres, composés de 64 caractères, conduit à reproduire sur chaque composant la structure globale de l’ouvrage.
Cette particularité du Yi King a suscité l’intérêt de nombreux mathématiciens.
Le Yi-King à la source de la médecine chinoise
Le Yi King constitue un socle fondateur pour la médecine traditionnelle chinoise. Il a participé à l’élaboration d’une représentation des parties du corps constituées de schémas linéaires que l’on retrouve notamment dans les méridiens d’acupuncture.
De plus le Yi King se caractérise par la représentation immobile du mouvement que l’on retrouve dans les représentations abstraites du Yin et du Yang par des traits pleins (Yang) et des traits redoublés (Yin). Cette représentation graphique d’une dynamique de contraction ou d’expansion se retrouve également en médecine traditionnelle dans les notions de méridien et de mouvements d’énergie.
Le Yi King dans les arts martiaux chinois
Le Yi King a participé au développement de principes propres aux arts martiaux chinois avec notamment la notion de Yin-Yang. Dans la pratique du Qi Gong, du Tai Chi ou du Kung Fu, de nombreux mouvements, exercices et enchaînements prennent appui sur des représentations tirées du Yi King.
Par exemple le Bagua Zhang, ou «paume des 8 trigrammes» est un art martial chinois dont les mouvements s’inspirent directement des principes du Yi King.
Sources:
Cyrille J.-D Javary, «La souplesse du dragon. Les fondamentaux de la culture chinoise», 2014, Editions Albin Michel